Dans son intervention, Norbert Spehner dresse un portrait nuancé mais globalement optimiste de l’état actuel du polar québécois. Il en célèbre d’abord la vitalité formelle et la richesse narrative : tous les sous-genres y trouvent leur place — du noir urbain à l’enquête rurale, du thriller politique au roman psychologique, en passant par des formes plus hybrides qui flirtent avec le fantastique ou le roman historique. Cette diversité témoigne d’un écosystème littéraire mature, capable d’explorer une pluralité de registres sans perdre son ancrage identitaire.

La vidéo dresse un bilan positif du polar québécois, soulignant sa diversité, sa reconnaissance internationale et son attrait exotique lié au territoire et à la langue. Tous les sous-genres sont représentés, mais Norbert Spehner note un désintérêt des jeunes lecteurs, davantage attirés par l’horreur et la fantaisie.

Ce qui distingue notamment le polar québécois sur la scène internationale, souligne Spehner, c’est son exotisme assumé. Ici, le mot « exotisme » n’est pas à entendre dans son sens colonial ou pittoresque, mais comme un effet de contraste linguistique, culturel et géographique. Le territoire québécois, avec ses hivers hostiles, ses villes à double visage (Montréal notamment, à la fois nord-américaine et francophone), ses zones rurales reculées, crée une toile de fond dramatique singulière qui intrigue les lecteurs d’ailleurs. La langue elle-même — le français québécois, avec ses idiomes, son oralité, son rythme — devient une marque distinctive, presque un personnage à part entière. Ce sont là des éléments qui, dans le contexte d’une mondialisation éditoriale, donnent au polar québécois une identité forte, originale, et donc exportable.

Mais ce panorama ne va pas sans zones d’ombre. Spehner attire l’attention sur une fracture générationnelle préoccupante : les jeunes lecteurs se détournent massivement du polar traditionnel. Leur imaginaire semble désormais façonné par d’autres genres narratifs — horreur, fantastique, fantasy — souvent associés à des franchises internationales, à des formats numériques, et à une logique plus immersive, voire transmédiatique. Le polar, ancré dans le réel, parfois lourd de mémoire sociale ou politique, ne parvient plus à capter l’attention de cette tranche d’âge en quête de dépaysement radical, de mondes alternatifs ou d’expériences sensorielles fortes. Ce désintérêt n’est pas anodin : il pose la question de la relève, mais aussi de la mutation possible du genre pour retrouver une résonance auprès de cette nouvelle audience.

En somme, le constat de Spehner est double : d’un côté, une reconnaissance croissante et méritée du polar québécois sur la scène internationale, appuyée par sa singularité culturelle et territoriale ; de l’autre, un recul de son emprise sur les lectorats les plus jeunes, signe peut-être d’une nécessité d’adaptation — ou, à tout le moins, d’un repositionnement stratégique dans le champ littéraire contemporain.

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