Le polar québécois n’a pas toujours eu droit de cité dans les institutions littéraires. Pendant longtemps, ces récits de crimes, d’enquêtes et de mystères ont été relégués aux marges, considérés comme une sous-littérature indigne des canons classiques. Ce n’est que récemment qu’on lui a ouvert les portes des universités, des collections spécialisées et des maisons d’édition respectées. Pourtant, dès le tournant du XXe siècle, ces histoires captivantes ont trouvé leur public, tant au Québec qu’à l’international.

[Voyage en Littérature Québécoise]

Le roman policier est aujourd’hui l’un des genres les plus vendus dans le monde, représentant près d’un tiers des ventes en librairie. Au Québec, ce succès populaire s’est affirmé avec force dans les deux dernières décennies, grâce à une production annuelle qui atteint presque une centaine de titres. C’est dans cette effervescence que s’inscrit l’œuvre de Norbert Spehner, figure incontournable du polar québécois, qu’on découvre ici à travers un parcours riche, engagé et passionné.

Pendant longtemps, les récits populaires ont été dévalorisés sous des étiquettes péjoratives : « mauvais genre », « paralittérature »… On les distinguait de la littérature « blanche », considérée plus noble. Mais ces termes trahissaient surtout le mépris d’une institution sourde aux goûts du grand public. Ce rejet s’est aussi matérialisé dans la manière dont les librairies classaient — ou plutôt perdaient — les livres, faute de catégories appropriées ou par pure négligence.

Certains auteurs refusaient même d’être associés à ces genres. Pierre Billon, par exemple, ne voulait pas que son roman soit vu comme de la science-fiction. D’autres, comme Pierre Savoie, niaient écrire des polars, alors que tous les éléments du genre étaient là. À l’opposé, des écrivains comme Chrystine Brouillet ou Spehner lui-même ont contribué à revendiquer fièrement l’étiquette de littérature populaire et à en montrer la richesse.

L’histoire du roman policier québécois ne commence pas dans les années 1980, mais bien plus tôt. Dès le XIXᵉ siècle, des récits de crimes, d’énigmes et de mystères paraissent sous forme de feuilletons dans les journaux. Entre 1837 et 1925, une véritable archéologie du genre se dessine, avec des figures comme Alexandre Huet, surnommé le Dumas québécois. Ces récits, souvent inspirés de faits divers, installent les bases du polar à la québécoise.

C’est dans ce contexte que naît Jules Laroche, premier détective du polar québécois, créé par Huet. Ce n’est pas un policier, mais un riche curieux aux allures d’aventurier. Il apparaît dans Le Trésor de Bigot, un fascicule typique de l’époque. L’éditeur Édouard Garand joue un rôle crucial dans la diffusion de ces récits, en publiant des romans policiers sous forme de fascicules bon marché, véritables ancêtres de nos romans de gare.

Ces fascicules connaîtront un immense succès durant la Seconde Guerre mondiale, s’inspirant des pulps américains. Leurs couvertures criardes, leurs intrigues haletantes, et leur papier de mauvaise qualité les rendaient accessibles et attirants. Des centaines de titres furent publiés par des dizaines d’éditeurs québécois. Certains auteurs écrivaient sous pseudonyme, comme Pierre Daigneault alias Pierre Saurel, créateur de l’espion IXE13, dont les aventures furent adaptées au cinéma.

Malgré leur succès, ces publications ont longtemps été méprisées. Jugées immorales, elles étaient interdites dans certaines écoles. Pourtant, elles ont constitué une porte d’entrée majeure vers la lecture pour plusieurs générations. Yves Thériault, aujourd’hui reconnu comme un écrivain majeur, a commencé sa carrière en écrivant à la chaîne des fascicules populaires — parfois sous pseudonyme, parfois sous son propre nom, souvent payé à la ligne.

Loin d’être de simples objets de consommation, ces œuvres populaires sont des témoins précieux de l’imaginaire collectif, des angoisses et des désirs d’une époque. Le polar, en particulier, met en scène la quête de vérité, la tension entre le bien et le mal, dans des contextes souvent très ancrés dans la société québécoise. Grâce à des figures comme Norbert Spehner, cette littérature longtemps reléguée au second plan retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse.

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© Photo|Société, 2025