Religion, langue et génération :
l’appui à la loi 21 au prisme des
variables sociodémographiques
É.-Martin Meunier Jacob Legault-Leclair
École d’études anthropologiques et sociologiques
Université d’Ottawa
Cet article est lié à l’Épisode 1 de la série
documentaire Avant que tout s’efface…
Consulter l’article original paru aux Presses de l’Université Laval

Aperçu
L’article de Meunier et Legault-Leclair explore les facteurs sociodémographiques derrière l’appui à la Loi 21 sur la laïcité de l’État au Québec. Il montre que cet appui, majoritaire chez les francophones catholiques de plus de 24 ans, est influencé par des dynamiques complexes entre religion, langue et génération. Loin d’être un rejet pur du religieux, la laïcité québécoise se présente comme une recomposition identitaire issue d’un catholicisme culturel en déclin. L’étude met en lumière une mutation du rapport à la religion, marquée par la sécularisation, la pluralisation religieuse et une volonté de préservation culturelle face aux changements sociaux rapides.
Analyse inférentielle du texte
1. Résumé introductif
Dans cette étude, Meunier et Legault-Leclair s’intéressent à l’appui à la Loi 21 sur la laïcité de l’État québécois à travers le prisme des variables sociodémographiques. Ils mobilisent un sondage probabiliste représentatif réalisé en 2021 afin de dégager les profils sociaux les plus enclins à soutenir ou à rejeter cette loi controversée. Trois grandes variables sont mises au centre de l’analyse : la religion, la langue et la génération. Les résultats révèlent une polarisation nette entre les francophones plus âgés, qui soutiennent massivement la loi, et les jeunes allophones et immigrants, qui s’y opposent fortement. L’article soutient que ces lignes de fracture ne peuvent être comprises sans tenir compte des dynamiques identitaires propres au Québec contemporain.
2. Idéologème dominant et récits opposés
| Idéologème dominant | Récits opposés | Niveau de tension idéologique |
|---|---|---|
| Sécularisme identitaire québécois | Multiculturalisme libéral / inclusion pluraliste | Tension idéologique forte : 4/5 |
3. Structure de l’article
| Syntagme | Élément principal |
|---|---|
| [M] Milieu | Québec post-référendaire, société pluraliste traversée par des tensions identitaires |
| [O] Objet | La Loi 21 sur la laïcité et son appui dans la population |
| [I] Intention | Comprendre les clivages sociodémographiques derrière l’appui à la Loi 21 |
| [S] Sujet | Les francophones québécois, plus âgés, non pratiquants, issus de la majorité |
| [A] Adjuvants | L’histoire de la laïcisation, le nationalisme québécois, le déclin religieux |
| [T] Opposants | Les jeunes, les immigrants, les allophones, les croyants pratiquants |
| [V] Valorisations | La neutralité de l’État, la cohésion sociale, l’égalité des sexes |
| [X] Sanctions | Appui populaire stable de la Loi 21, mais lignes de fracture intergénérationnelles |
| [Z] Syntagme sémiotique | La Loi 21 devient un marqueur symbolique d’appartenance culturelle québécoise |
4. Analyse argumentative (procédés rhétoriques)
| Procédé rhétorique utilisé | Exemple dans le texte | Fonction argumentative |
|---|---|---|
| Appel à l’autorité | Sondage probabiliste mené par CROP | Légitimer empiriquement les résultats |
| Construction d’oppositions | Francophones vs allophones ; jeunes vs vieux | Souligner les clivages internes |
| Typologie | Classification selon religion, langue, génération | Structurer l’analyse du soutien à la loi |
| Ancrage local | Référence au contexte québécois spécifique | Rendre l’analyse culturellement située |
5. Analyse prédictive
| Prolongement idéologique | Hypothèses de mise en œuvre | Effets sociopolitiques anticipés |
|---|---|---|
| Consolidation du nationalisme laïque québécois | Renforcement législatif des politiques de neutralité religieuse | Cristallisation du soutien majoritaire chez les francophones ; isolement de certaines minorités |
| Déclin de l’appui intergénérationnel à la Loi 21 | Émergence d’un contre-discours générationnel | Conflits de valeurs entre jeunes inclusifs et générations plus conservatrices |
| Tensions accrues autour de l’inclusion des immigrants | Perception d’exclusion culturelle induite par la Loi 21 | Difficultés d’intégration, sentiment d’aliénation des minorités visibles et croyantes |
6. Comparaison structurelle de la thèse proposée et des thèses opposées
| Syntagme | Thèse proposée (sécularisme identitaire) | Thèses opposées (multiculturalisme pluraliste) |
|---|---|---|
| [M] | Québec comme société devant protéger sa culture | Québec comme espace d’accueil de diverses traditions religieuses |
| [O] | Neutralité de l’État face aux religions | Reconnaissance des expressions religieuses individuelles dans l’espace public |
| [S] | Majorité francophone, laïque, en quête de reconnaissance | Minorités ethno-religieuses revendiquant visibilité et droits équitables |
| [T] | Le religieux dans l’espace public, perçu comme menace à l’unité culturelle | La restriction religieuse comme forme de discrimination ou d’exclusion |
| [V] | Cohésion nationale, égalité hommes-femmes, modernité laïque | Inclusion, diversité, droits individuels |
7. Conclusion
Cette étude révèle que l’appui à la Loi 21 ne peut être réduit à une opposition binaire entre laïques et croyants. Il repose sur une stratification sociodémographique complexe où les générations, les langues et les appartenances culturelles jouent un rôle déterminant. La Loi 21 devient alors un point de cristallisation identitaire pour une majorité francophone qui y voit une manière de préserver un mode de vie, une mémoire collective et une cohérence culturelle face à une modernité perçue comme menaçante. Inversement, les jeunes, les immigrants et les minorités religieuses perçoivent cette loi comme un frein à la reconnaissance de leur pluralité. Cette polarisation identitaire pose les jalons d’un affrontement discursif appelé à se prolonger, particulièrement à mesure que la population québécoise se diversifie. L’article met ainsi en lumière une lutte de récits sur la définition du Québec contemporain.
8. Interprétation sociologique
Du point de vue sociologique, cette étude illustre bien ce que Charles Taylor appelait les « imaginaires sociaux » : visions collectives de ce que la société est et devrait être. La Loi 21 est ici l’objet d’un imaginaire identitaire défensif, porté par une majorité francophone qui a historiquement vu dans la laïcité une manière de se moderniser tout en se détachant de l’oppression religieuse. On retrouve également les tensions soulignées par Axel Honneth dans sa théorie de la reconnaissance : pour les groupes minoritaires, l’exclusion symbolique que représente l’interdiction des signes religieux peut nuire au processus d’intégration et de reconnaissance sociale. D’un point de vue plus macrosociologique, l’analyse rejoint les réflexions de Pierre Bourdieu sur les effets de l’habitus : les préférences pour ou contre la Loi 21 sont enracinées dans des trajectoires sociales, linguistiques et religieuses qui s’inscrivent dans le temps long. Enfin, l’étude révèle une ligne de faille générationnelle qui rappelle les théories d’Ulrich Beck sur la modernité réflexive, où les jeunes générations rejettent des cadres normatifs jugés rigides, au nom de valeurs d’ouverture et de diversité.
9. Sources consultées
- Meunier, E., & Legault-Leclair, A. (2022). Religion, langues et génération. L’appui à la loi 21 au prisme des variables sociodémographiques. Observatoire des réalités sociales du Québec.
- Taylor, C. (2004). Modern Social Imaginaries. Duke University Press.
- Honneth, A. (1995). The Struggle for Recognition. Polity Press.
- Bourdieu, P. (1980). Le sens pratique. Les Éditions de Minuit.
- Beck, U. (1992). Risk Society: Towards a New Modernity. Sage Publications.

