Cet article est lié à l’Épisode 1 de la série
documentaire Avant que tout s’efface…
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1. Contexte
Au fil de texte paru dans Le Devoir, ce qui transparaît, c’est une forme de lucidité inquiète : partout au Québec, des bâtiments religieux s’effondrent ou sont promis à l’oubli. Mais au-delà des pierres, ce sont des récits, des liens, des formes de vie collective qui disparaissent. Ces églises, ces couvents, ces maisons mères ont abrité des générations d’hommes et surtout de femmes engagées dans l’éducation, le soin, la solidarité. Ce que défendent ici les auteurs, ce n’est pas un retour au religieux, mais une reconnaissance sensible du passé comme matière vivante. Une mémoire qu’il ne s’agit pas d’embaumer dans des vitrines, mais de faire circuler autrement, à travers des usages renouvelés.
Ce plaidoyer est traversé d’une tension profonde entre deux récits : celui d’une société moderne qui voudrait tourner la page à tout prix, et celui d’une culture qui ne peut se reconstruire qu’en assumant la richesse de son héritage. Les signataires ne réclament pas un culte des vieilles pierres, mais une réforme du regard. Penser le patrimoine religieux comme ressource sociale, comme tremplin pour des projets de logement, de culture, de communauté. On sent aussi un désir de justice : justice envers ces femmes oubliées de l’histoire officielle, justice envers les jeunes à qui on transmet trop peu les clés du passé. Sauver, ici, c’est aussi réparer.
Enfin, on lit en filigrane un appel à la responsabilité partagée. L’État, bien sûr, est interpellé, mais les citoyens aussi. La jeunesse, surtout, est appelée à prendre le relais, à inventer des formes d’engagement qui ne passent ni par la foi ni par la nostalgie, mais par la conscience historique. Il y a là une vision généreuse, inclusive, qui transforme l’abandon en opportunité de renaissance. Ce texte, en somme, donne chair à l’idée que « patrimoine » n’est pas un mot figé, mais un espace à rouvrir — un lieu de mémoire à habiter autrement, avant que tout ne s’efface.
2. Résumé introductif
Le texte se présente comme une lettre ouverte signée par un collectif d’intellectuels, d’historiens et de citoyens préoccupés par la lente érosion du patrimoine religieux au Québec. Plus qu’un constat alarmiste, il s’agit d’un cri du cœur mêlant indignation, espoir et appel à l’action. Ce plaidoyer prend appui sur des exemples concrets — Labelle, Sutton, Longueuil — et appelle à une réinvention des usages de ces lieux porteurs d’histoire. Il interpelle les autorités, mais aussi le public, notamment les jeunes générations, pour faire de cette cause une responsabilité collective.
3. Idéologème dominant et récits opposés
| Idéologème dominant | Récits opposés possibles | Niveau de tension idéologique |
|---|---|---|
| Mémoire active et réinvention du patrimoine | 1. Laïcité radicale : couper tout lien avec l’héritage religieux. 2. Néolibéralisme urbain : valorisation marchande du foncier au détriment de la mémoire. | Élevée (4/5) |
4. Structure idéologique du récit
| Syntagme | Contenu narratif du syntagme | Fonction idéologique dans le récit |
|---|---|---|
| [M] Mémoire | Le texte s’ouvre sur des lieux en péril : Labelle, Sutton, Longueuil… autant de marqueurs d’un passé religieux en train de s’effacer. | Inscrire la disparition du patrimoine religieux dans un récit d’effondrement collectif. |
| [O] Objectif | Sensibiliser les autorités et les citoyens à la nécessité d’agir pour sauver les bâtiments religieux par des usages contemporains. | Mobiliser autour d’une transformation active du patrimoine, au-delà de la nostalgie. |
| [I] Identité | Le patrimoine religieux est présenté comme partie intégrante de l’identité québécoise, incluant le rôle des femmes dans cette histoire. | Réaffirmer un récit identitaire enraciné, pluriel, et souvent invisibilisé dans l’histoire officielle. |
| [S] Sujet collectif | Un « nous » pluriel : historien·ne·s, archivistes, citoyen·ne·s, étudiant·e·s, jeunes générations. | Constituer une communauté morale élargie porteuse d’un engagement intergénérationnel. |
| [A] Appel | Appel explicite à sortir du silence, à interpeller l’État, à réformer la loi et à réinventer les usages des lieux religieux. | Activer la conscience politique et sociale du lecteur : appel à la mobilisation et à la créativité. |
| [T] Temporalité | L’urgence est posée dès le départ : les démolitions sont imminentes, le temps presse, les coûts explosent. | Créer un sentiment de crise imminente pour justifier l’action immédiate. |
| [V] Valeurs | Mémoire vivante, justice envers les bâtisseuses oubliées, transmission, innovation sociale, respect du sacré sans dogmatisme. | Fonder un horizon de valeurs partagées et humanistes pour soutenir la requalification patrimoniale. |
| [X] Tension | Entre passivité politique et nécessité d’un engagement collectif ; entre l’effacement matériel et la sauvegarde symbolique. | Instaurer un clivage idéologique fort et poser un dilemme éthique incontournable. |
| [Z] Sémiotique | Les lieux religieux sont plus que des murs : ils deviennent les signes visibles d’un récit enfoui, porteurs d’une mémoire incarnée. | Construire une lecture symbolique du patrimoine comme langage culturel à décoder et à transmettre. |
5. Analyse argumentative
| Type de procédé rhétorique | Exemple tiré du texte | Fonction idéologique dans le récit |
|---|---|---|
| Appel à l’émotion (pathos) | « Car détruire un couvent, c’est plus que perdre un bâtiment. C’est perdre un récit. » | Activer une mémoire affective, faire ressentir la perte comme tragédie symbolique, pas seulement matérielle. |
| Argument d’autorité collective | Signature par plus de 25 historien·ne·s, archivistes, professeur·e·s, dirigeant·e·s d’institutions patrimoniales | Légitimer l’appel à l’action par une voix experte, plurielle et enracinée dans la recherche et la pratique. |
| Énoncé interrogatif rhétorique | « Combien de fois faudra-t-il tirer la sonnette d’alarme ? » | Exprimer l’impuissance face à l’inertie politique et réveiller la conscience civique du lecteur. |
| Narration de cas concrets | Exemples de Labelle, Sutton, Longueuil, Baie-Saint-Paul | Donner chair à la problématique à travers des lieux emblématiques, ancrer l’idéologie dans le réel. |
| Références institutionnelles | Citation des principes de l’UNESCO : usage continu, authenticité, dialogue interculturel | S’appuyer sur une légitimité universelle pour encadrer la réflexion québécoise dans une perspective globale. |
| Reformulation pédagogique | « Ce n’est pas faire acte de foi, c’est faire acte de mémoire. » | Déconstruire les malentendus idéologiques sur le religieux, clarifier l’enjeu patrimonial. |
| Appel direct à un acteur social | « Historiens, archivistes, étudiants et citoyens, je vous le déclare… » | Créer un effet de mobilisation directe, interpeller les lecteurs comme sujets actifs de l’histoire en marche. |
6. Analyse prédictive
| Prolongement idéologique | Hypothèses de mise en œuvre | Effets sociopolitiques anticipés |
|---|---|---|
| Création d’un front citoyen de sauvegarde du patrimoine religieux | Mobilisation des jeunes, création de coopératives ou d’OBNL culturels | Réappropriation collective, retissage du lien social, insertion urbaine |
| Réforme de la Loi sur le patrimoine culturel | Pression publique, publication de manifestes, actions médiatiques | Révision des critères de classement, meilleure accessibilité au financement |
| Réinvention des usages : logements, culture, éducation | Expérimentations pilotes dans des lieux emblématiques | Hybridation des fonctions sociales et patrimoniales, cohésion intergénérationnelle |
7. Comparaison structurelle du récit proposé et des récits opposés
| Syntagme visé | Récit proposé | Récits opposés |
|---|---|---|
| [M] Mémoire | Patrimoine sacré porteur d’une mémoire collective | Héritage religieux obsolète et encombrant |
| [O] Objectif | Réinventer les usages des lieux pour leur donner un sens social | Démolir pour rentabiliser / reconstruire selon des logiques marchandes |
| [I] Identité | Lieux incarnant l’histoire québécoise et féminine | Modernité déconnectée du passé |
| [S] Sujet collectif | Jeunesse, historiens, citoyens engagés | Élites politiques ou promoteurs immobiliers |
| [A] Appel | Appel à l’intelligence collective et à l’action | Attentisme politique ou cynisme immobilier |
| [T] Temporalité | Urgence d’agir avant que tout disparaisse | Temps long du laisser-aller administratif |
| [V] Valeurs | Mémoire, justice sociale, reconnaissance historique | Efficacité économique, neutralité religieuse |
8. Conclusion
Ce texte est un point d’ancrage majeur pour le documentaire Avant que tout s’efface. Il établit une tension idéologique forte entre mémoire et effacement, entre réinvention et abandon. En revalorisant les lieux religieux à travers une grille non dogmatique, mais historique, culturelle et féminine, il permet d’ouvrir un espace narratif où l’émotion se mêle à l’analyse. L’appel lancé aux jeunes et aux institutions trace une voie : celle d’une transmission active, inventive et inclusive du patrimoine. Ce n’est pas seulement le passé qu’il faut préserver, c’est la possibilité d’un futur enraciné, pluriel, solidaire.
9. Interprétation sociologique
Ce texte résonne profondément avec l’idée que les lieux façonnent les identités collectives. Dans une perspective sociologique, on peut y lire un écho au concept de lieux de mémoire développé par Pierre Nora : ces églises, ces couvents, ces maisons mères sont autant de repères physiques où le passé se cristallise, non seulement comme archive matérielle, mais comme vecteur de sens partagé. Leur abandon, leur silence progressif, signe une perte de repères dans un monde où les ancrages se font rares. Le patrimoine religieux n’est plus tant un marqueur de foi qu’un vecteur d’enracinement — une mémoire spatialisée dont la disparition affecte notre capacité à nous raconter collectivement.
Au-delà de la mémoire, ces lieux ont longtemps été des scènes sociales, pour reprendre la grille d’Erving Goffman. Ils ont hébergé des gestes, des rituels, des récits de soin, d’accueil, de pédagogie, souvent portés par des femmes, et rarement reconnus dans la mémoire officielle. On peut ici mobiliser Axel Honneth et sa théorie de la reconnaissance : l’effacement progressif du patrimoine religieux est aussi le symptôme d’un mépris structurel envers celles et ceux qui ont incarné la vie de ces lieux. Sauver un couvent, ce n’est donc pas seulement préserver des murs — c’est reconnaître des subjectivités, des engagements, des existences passées qui continuent de résonner.
Enfin, Hartmut Rosa nous rappelle que notre rapport au monde moderne est souvent marqué par l’accélération et le silence. Ce patrimoine, en train de disparaître, ne parle plus parce que nous avons cessé de l’écouter. Mais dans ce texte, dans ce cri porté par des historiens et des citoyennes engagées, quelque chose se remet à vibrer. Il y a là une tentative de réaccorder notre sensibilité collective à ces lieux que l’on croyait muets. Les requalifier, les habiter autrement, c’est précisément faire résonner à nouveau un passé enfoui, dans une société qui cherche encore ses lignes de continuité.
10. Sources consultées
- Laperle, Dominique. « L’heure de vérité a sonné pour le patrimoine religieux au Québec », Le Devoir, 2024.
- UNESCO, Religious Heritage and Sacred Sites, Initiative 2023
- Pierre Nora, Les Lieux de mémoire
- Hartmut Rosa, Résonance
- Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne
- Axel Honneth, La société du mépris
© Photo|Société, 2025

