Dans les rues de Québec et de Montréal, une nouvelle mode s’impose : les briques noires, les toitures anthracite, les façades sombres. « C’est très tendance, reconnaît le Dr Pierre Gosselin de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), mais c’est aussi le pire choix possible. » Pourquoi ? Parce que le noir, contrairement aux teintes claires, absorbe la chaleur plutôt que de la réfléchir.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), une surface sombre peut capter jusqu’à 90 % du rayonnement solaire, alors qu’un matériau pâle n’en retiendra qu’un tiers. Résultat : des écarts de 15 à 20 degrés à la surface, et des bâtiments qui se transforment en fours en pleine canicule.

Montréal vs. Québec : deux visions de la réglementation

Montréal a pris le problème au sérieux dès 2009, en adoptant un règlement obligeant l’installation de toitures réfléchissantes – les fameux « toits blancs » – sur les nouvelles constructions et lors de rénovations majeures. Les bénéfices sont clairs : une baisse de la température des toits pouvant atteindre 30 °C et une réduction de la consommation énergétique liée à la climatisation.

À Québec, rien de tel n’existe pour l’instant : « Ce serait pourtant pertinent d’imposer certaines limites sur les matériaux utilisés, surtout dans les quartiers où les arbres sont rares », insiste le Dr Gosselin. L’absence de règlementation accentue les inégalités : ceux qui vivent dans des secteurs densément minéralisés, souvent les plus modestes, paient le prix fort lors des vagues de chaleur.

Le mythe de la vigne destructrice

Quand on évoque des solutions, une idée revient : verdir les murs. Mais là encore, une rumeur tenace circule : la vigne ou le lierre abîmeraient la brique. « C’est complètement faux, corrige le Dr Gosselin. Tous les experts le disent : ça n’a aucune incidence sur la structure. »

Mieux encore : des études menées en Europe démontrent que les façades végétalisées peuvent réduire la température de surface des murs de 7 à 15 °C. À l’intérieur, le gain de fraîcheur se traduit par un abaissement de 3 à 5 degrés Celsius. En prime, ces plantes agissent comme filtres antipollution, piégeant particules fines et gaz nocifs.

Quand l’urbanisme devient une question de santé publique

Derrière la question esthétique, il y a un enjeu vital. Le Québec a déjà vécu plusieurs épisodes de canicule meurtrière. En 2010, l’INSPQ estimait que plus de 280 décès étaient attribuables à la chaleur extrême dans la province. Les personnes âgées, les enfants, et celles qui vivent dans des logements mal isolés sont les premières touchées.

L’Organisation mondiale de la santé le rappelle : végétaliser les villes et adopter des matériaux réfléchissants figurent parmi les mesures d’adaptation les plus rentables pour sauver des vies. Le Dr Gosselin abonde : « Avec un peu de bon sens – des couleurs claires, des toits réfléchissants, de la verdure verticale –, on pourrait réduire significativement la mortalité lors des canicules. »

La ville du futur : blanche et verte ?

Imaginer une ville plus fraîche, ce n’est donc pas une utopie. Les toits blancs, les murs végétalisés, les matériaux pâles et réfléchissants, combinés à une meilleure planification des espaces verts, représentent une « boîte à outils » déjà disponible. Reste à convaincre les décideurs… et à résister aux modes architecturales.

Car si la brique noire séduit les catalogues de décoration, elle pèse lourd dans les bilans énergétiques et sanitaires. Comme le résume le Dr Gosselin, « la beauté d’un quartier ne devrait pas se mesurer à la couleur de ses murs, mais à sa capacité de garder ses habitants en vie lors d’une canicule. »

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