EXAMENS MÉDICAUX ET DÉPISTAGES OU L’ANGOISSE DU RÉSULTAT
Se voir prescrire une batterie de tests de dépistage rapproche l’horizon de la peur face à sa propre condition de santé. Mais ces tests ne garantissent en rien que la science médicale actuelle saura enrayer de la façon la plus efficace possible le mal dont on est porteur.
Opposer comportements sains et malsains
À partir de ce déploiement d’interventions tous azimuts sur le corps pour lui conserver la santé, l’horizon de la peur se rapproche de plus en plus, c’est-à-dire que chaque individu, dès qu’il se rend chez le médecin, peut se voir prescrire une batterie de tests de dépistage qui rapproche cet horizon de la peur face à sa propre condition de santé, car il sait fort bien que si le médecin lui révèle la condition exacte de son état de santé, rien ne lui garantit que la science médicale actuelle saura enrayer de la façon la plus efficace possible le mal dont il est porteur. Et il est là le nœud central du transhumanisme, car celui-ci promet que les technologies qui sont actuellement en développement et qui seront développées sous peu seront en mesure de régler les problèmes que les tests de dépistage auront identifiés, reculant d’autant l’horizon de la peur.
En l’espace de quelques décennies seulement, la médecine a non seulement modifié ses pratiques, mais profondément métamorphosé la vision de la vie et du corps, la relation entre le sain et le malsain, le normal et le pathologique, tout comme la vision d’un corps perfectible à volonté, mince, sans gras, beau, sculpté et musclé. L’exigence d’une santé à tout prix s’est graduellement substituée aux traitements des maladies. La santé est devenue une vaste entreprise économique de gestion du risque et de domestication de l’incertitude dans laquelle s’insèrent de nouveaux discours : consentement thérapeutique, bioéthique, prévention, nutrition, fitness, esthétique.
Tout d’abord, un problème : en matière de santé, paradoxalement, l’incroyable déploiement scientifique et technologique aujourd’hui disponible semble provoquer chez l’individu le sentiment d’une constante proximité avec les dangers à incidence pathologique (internes ou externes) : c’est l’horizon de la peur. C’est à partir de là que je propose une réflexion sur cette idée que, plus s’écoule le temps, plus l’aventure du corps se dessine sur un fond d’incertitudes croissantes rapprochant de plus en plus l’individu d’un certain horizon de la peur quasi mesurable.
L’idée est la suivante : le registre actuel du rapport du sain au malsain, en pleine mutation, conduirait à l’idée d’un effacement du corps trop encombrant, car vecteur d’une multitude d’incertitudes trop rapprochées, difficilement maîtrisables et peut-être même incontrôlables. L’hypothèse, loin d’être banale, mérite considération, car elle fonde tout le courant transhumaniste. Et elle se comprend encore mieux dans une perspective où elle est un ensemble de convergences expliquées et articulées autour d’une idée centrale depuis la Renaissance : la domestication de l’incertitude,au sens de la maîtrise familière issue du côtoiement de l’obsession sécuritaire.
Partant de là, mon hypothèse de travail à ce sujet suppose que l’horizon de la peur en matière de santé est le fait d’un processus hygiéniste par lequel l’individu et les institutions publiques cherchent, d’une part, à sécuriser les lieux (espaces), les comportements et les corps à incidence pathologique, et d’autre part, à normer, surveiller, enregistrer, évaluer, traiter et contrôler le comportement des gens, leur corps, les objets et les événements dans le but de gouverner la santé des populations. Ce processus hygiéniste serait fondé sur le rapport d’un fragile équilibre entre, d’une part, le niveau d’aversion naturelle de l’être humain envers la variabilité et l’incertitude, et d’autre part, le niveau d’inclination de l’être humain envers la stabilité et la certitude.

Ce rapport déterminerait ainsi un certain horizon de la peur. En découlerait par la suite un ensemble de valeurs structurées sous forme de discours hygiéniste en fonction de cet horizon de la peur, et c’est bien dans cet horizon de la peur que s’inscrit le discours hygiéniste contemporain qui oppose comportements sains (attitudes et comportements à adopter pour se prémunir contre la variabilité et l’incertitude) et comportements malsains (attitudes et comportements à éviter pour ne pas être affecté par la variabilité et l’incertitude). La finalité de ce discours hygiéniste se traduit par la recherche d’une stabilité structurelle pour la société, autrement dit, une vaste entreprise de domestication collective de l’incertitude.
© Pierre Fraser (PhD), linguiste et sociologue / [2015-2025]