Promettre, c’est déjà gouverner (un peu)

À la veille des échéances de 2026, la promesse politique redevient ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : un instrument de mise en tension entre désir collectif et capacités réelles. Elle n’est ni mensonge pur, ni programme opératoire. Elle est une technologie symbolique. Elle simplifie, accélère, dramatise. Elle promet moins un futur précis qu’un sentiment de reprise de contrôle. Dans un monde saturé de contraintes (budgétaires, juridiques, climatiques, démographiques), la promesse agit comme une suspension provisoire du réel. Une parenthèse enchantée, mais contractualisée.

Ce qui distingue aujourd’hui les dirigeants n’est pas tant ce qu’ils promettent (croissance, sécurité, logements, hôpitaux, frontières fonctionnelles) que la manière dont ils gèrent l’écart entre la parole et l’exécution. Certains l’ignorent. D’autres le déplacent dans le temps. D’autres encore le maquillent en méthode.

L’illusion performative : quand dire, c’est (faire croire que l’on va) faire

Les promesses les plus “illusionnistes” ne sont pas nécessairement les plus extravagantes. Elles sont celles qui effacent le plus habilement les conditions de possibilité. Donald Trump excelle dans cet art : phrases courtes, causalités directes, obstacles dissous dans l’enthousiasme. L’État y devient un levier unique, la société un public consentant, le monde extérieur une variable secondaire. L’illusion n’est pas dans l’objectif (réindustrialiser, contrôler l’immigration), mais dans la négation des médiations.

Giorgia Meloni opère une illusion plus feutrée : le souverainisme de responsabilité. Les promesses sont fermes, l’ancrage national clair, mais l’architecture européenne demeure, silencieuse et persistante. Ici, l’illusion ne nie pas la contrainte ; elle la met entre parenthèses discursives.

À l’autre extrémité du spectre, Xi Jinping et Vladimir Poutine produisent une illusion d’un autre type. Leurs promesses sont vastes, parfois totalisantes, mais appuyées sur une capacité réelle d’exécution à court terme. L’illusion se loge ailleurs : dans le calendrier, dans la soutenabilité, dans le coût humain et économique différé. Le futur promis n’est pas impossible ; il est repoussé, parfois indéfiniment.

PERSPECTIVES

• Plus le régime est centralisé, plus la promesse peut être performative et exécutable.
• Plus le système est pluraliste, plus l’illusion performative compense l’impuissance réelle.
• La crise de crédibilité politique ne vient pas de l’exagération des promesses, mais de la répétition d’un écart devenu prévisible entre discours et effets.

QUADRANT 1 Illusion performative élevée / Capacité réelle faible (Promet beaucoup, peut peu) Donald Trump – Promesses simples, massives, immédiatement compréhensibles. – Forte efficacité symbolique, mais dépendance lourde aux contre-pouvoirs, aux marchés et aux tribunaux. – Écart structurel entre annonces et mise en œuvre durable. Giorgia Meloni – Discours souverainiste et identitaire très lisible. – Marges budgétaires et contraintes européennes limitant l’exécution. – Haute performance politique, rendement matériel incertain.

QUADRANT 2 Illusion performative élevée / Capacité réelle élevée (Promet beaucoup, peut beaucoup) Xi Jinping – Promesses englobantes (prospérité, stabilité, transition graduelle). – Appareil étatique discipliné, continuité stratégique. – L’illusion n’est pas dans l’exécution, mais dans le calendrier et les coûts sociaux. Vladimir Poutine – Promesses de résilience, puissance, protection. – Capacité coercitive et administrative élevée. – Illusion concentrée sur la soutenabilité à long terme, non sur la réalisation immédiate.

QUADRANT 3 Illusion performative faible / Capacité réelle faible à moyenne (Promet peu, peut peu) Emmanuel Macron – Discours technocratique, peu spectaculaire. – Capacité institutionnelle bridée par fragmentation politique et fatigue sociale. – Faible illusion, mais efficacité marginale décroissante.

QUADRANT 4 Quadrant IV — Illusion performative faible / Capacité réelle élevée ou ciblée (Promet peu, peut relativement beaucoup) Marc Carney – Promesses prudentes, chiffrées, conditionnelles. – Forte crédibilité technique et financière. – Capacité réelle élevée sur l’économie, plus limitée sur le social. Javier Milei (cas limite) – Promesses radicales mais idéologiquement cohérentes. – Capacité réelle ponctuelle sur la dérégulation rapide. – Illusion faible sur les bénéfices sociaux, choc réel sur les structures.

La sobriété comme stratégie (ou comme aveu)

À l’inverse, certaines figures promettent peu ou du moins promettent prudemment. Marc Carney appartient à cette catégorie rare où la promesse est conditionnelle, chiffrée, réversible. Faible illusion, forte crédibilité technique. Cela produit un paradoxe démocratique : plus la promesse est sérieuse, moins elle mobilise. L’anti-illusion est rationnelle, mais rarement enthousiasmante.

Emmanuel Macron incarne une autre forme de retenue : l’illusion technocratique. Ici, on promet des réformes, des méthodes, des trajectoires. Le futur n’est pas idéalisé ; il est administré. L’écart promesse/exécution n’est pas spectaculaire, mais il s’use dans la durée, rongé par la fatigue sociale et l’érosion de la confiance.

Javier Milei, enfin, propose une illusion par cohérence idéologique. Tout est clair, radical, assumé. L’illusion ne porte pas sur la faisabilité technique, mais sur la neutralité sociale du choc. Le marché est présenté comme un anesthésiant, alors qu’il agit souvent comme un révélateur brutal.

À quoi sert vraiment l’illusion politique ?

Nous entrons ainsi dans une phase paradoxale : des promesses toujours plus grandes, mais de moins en moins avalisées par les citoyens. L’illusion se consomme vite. Elle exige d’être renouvelée, amplifiée, radicalisée. Jusqu’au moment où la capacité réelle (budgétaire, institutionnelle, sociale) rappelle, sans ironie cette fois, qu’elle n’avait jamais disparu.

FAISABILITÉ

• Capacité d’exécution maximale : régimes centralisés (Xi, Poutine) — cohérence interne forte, risques externes élevés.
• Promesses techniquement solides mais politiquement contraintes : Carney, Macron.
• Promesses à haut rendement symbolique, faisabilité inégale : Trump, Meloni.
• Promesses radicales à risque systémique : Milei (forte cohérence idéologique, faible amortisseur social)

Acteur	Score agrégé de faisabilité (0–100)	Promesses les plus plausibles	Promesses les plus risquées
Xi Jinping	82	Économie industrielle, éducation, contrôle migratoire	Environnement (rythme réel), santé long terme
Vladimir Poutine	76	Immigration, éducation, logement étatisé	Économie hors rente, environnement
Marc Carney	68	Économie, environnement, immigration économique	Logement, santé (coûts/temps)
Emmanuel Macron	61	Économie, éducation, immigration « maîtrisée »	Logement, santé, acceptabilité sociale
Giorgia Meloni	59	Immigration, éducation identitaire	Environnement, logement, santé
Donald Trump	57	Immigration, dérégulation économique	Environnement, santé, logement
Javier Milei	54	Dérégulation économique	Santé, éducation, environnement

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DÉFIS DE SOCIÉTÉ