RÉCITS IDÉOLOGIQUES

Aucun grand discours contemporain ne s’impose par les faits seuls. Ils arrivent toujours portés par des récits de promesses de salut ou de stabilité, de menaces de déclassement ou de chaos, de progrès inévitable, de rationalité totale. 

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MINUIT, 24 DÉCEMBRE :
L’HEURE OÙ L’ON FAIT SEMBLANT QUE TOUT VA BIEN

À minuit, Noël organise une trêve polie avec le réel : on suspend les problèmes, on performe la normalité, et on appelle ça une fête.

Minuit, le 24 décembre, est une heure excessivement sûre d’elle-même. Elle ne dure qu’une minute, mais se comporte comme si elle avait une mission civilisationnelle. Avant elle, le chaos maîtrisé des préparatifs ; après elle, l’entropie tranquille des restes et des conversations qui s’étiolent. Mais à minuit, précisément, le monde est sommé de se tenir droit. Les corps doivent coopérer. Les affects doivent rester présentables. Le réel, ce trouble-fête notoire, est invité à attendre dans l’entrée, manteau sur le bras.

À cet instant, Noël cesse définitivement d’être une fête. Il devient un protocole culturel à exécution annuelle, dont personne ne se souvient exactement de l’origine, mais que tout le monde applique avec un sérieux appliqué. La scène est prête, les acteurs en place. On sourit, on s’embrasse, on prononce la formule rituelle « L’important, c’est d’être ensemble ! », phrase merveilleuse car elle ne signifie rigoureusement rien tout en interdisant toute contestation. Qui oserait être contre l’important ?

Minuit n’est évidemment pas l’heure des vérités. Ce serait une faute de goût. Les conflits sont donc soigneusement empaquetés, étiquetés et rangés dans un placard intérieur déjà saturé. Les rancunes font une pause réglementaire. Les désaccords politiques se déguisent en plaisanteries maladroites. Les inquiétudes personnelles sont mises en veille, comme ces appareils qu’on éteint mal, mais qu’on espère silencieux jusqu’au lendemain. Rien n’est réglé, mais tout est temporairement hors champ, ce qui, socialement, revient presque au même.

Ce qui rend l’opération acceptable, c’est son apparente gentillesse. Nul n’impose le silence : il s’impose tout seul. On fait semblant que tout va bien non par conviction, mais par élégance sociale. Le malaise n’est pas banni ; il est simplement jugé inconvenant, comme un discours trop long ou une vérité dite trop tôt. Il aura son moment. Plus tard. Toujours plus tard.

Le repas, bien entendu, joue un rôle central dans ce théâtre. Il est l’accessoire principal. On mange pour occuper la bouche, donc pour éviter certaines phrases. On commente la sauce pour éviter un sujet. Chaque plat fonctionne comme une digression comestible, une note de bas de page calorique. La table n’est pas seulement conviviale : elle est syntaxique. Elle structure la conversation en empêchant toute phrase dangereusement complète.

Minuit est aussi l’heure officielle du bonheur normé. Pas le bonheur suspect, excessif, lyrique. Non. Un bonheur modéré, raisonnable, presque administratif. Suffisamment visible pour rassurer l’assemblée, suffisamment discret pour ne pas appeler de questions. On ne demande pas d’être heureux. On demande de paraître conforme à l’idée générale du bonheur acceptable, version saisonnière.

Tout cela repose sur une croyance devenue étrangement abstraite. Peu croient encore au récit originel, mais tout le monde respecte le rituel avec une ferveur méthodologique. La foi a déserté, mais la liturgie reste. Noël est devenu une tradition post-croyante, une forme sans fond théologique, mais avec une logistique impeccable. On n’y croit plus, mais on s’y attache, ce qui est souvent plus solide.

Il y a là quelque chose de profondément urbain, presque contemporain. Une aptitude remarquable à cohabiter sans s’accorder. À maintenir un lien minimal, fonctionnel, réversible. Minuit devient l’heure du compromis affectif, du ça ira bien comme ça, du ne compliquons rien. On ne cherche pas la vérité. On cherche la stabilité provisoire, ce qui est déjà ambitieux.

Cette suspension générale n’est pas totalement vaine. Elle permet de tenir. De différer une conversation qui demanderait trop d’énergie, trop de précision, trop de sincérité. Faire semblant que tout va bien n’est pas toujours un mensonge. C’est parfois une stratégie de gestion rationnelle des émotions, une économie politique du silence.

Puis, passé minuit, le réel revient. Ponctuel. Persévérant. Sans drame inutile. Noël n’a rien réparé, évidemment. Il n’a rien transformé. Il a simplement offert une trêve narrative. Une nuit où l’on accepte collectivement de ne pas aller au bout des phrases. Et, à défaut de sens, c’est peut-être encore ce que nous faisons de plus cohérent.

© Pierre Fraser (PhD, linguiste et sociologue), 2025

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