LABORATOIRE DES DISCOURS CONTEMPORAINS
Aucun grand discours contemporain ne s’impose par les faits seuls. Il arrive toujours porté par des récits : Promesses de salut ou de stabilité ; menaces de déclassement ou de chaos ; mythes d’efficacité, de progrès inévitable, de rationalité totale. Qu’il s’agisse de technologie, d’économie, d’écologie, de sécurité ou d’identité, le mécanisme est constant : le récit précède l’adhésion et borne ce qu’il devient possible de penser.
Nous affirmons la nécessité de déconstruire ces narratifs dominants, afin d’en révéler les idéologies sous-jacentes : visions du travail et de la valeur ; rapports à l’autorité et au pouvoir ; représentations implicites de l’humain et de l’avenir. Lire les récits, c’est comprendre ce qu’ils autorisent autant que ce qu’ils interdisent. Les relire, c’est reprendre prise sur le présent, et réouvrir l’avenir.

MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE
| Étape | Objectif | Questions clés | Méthodes / Repères |
|---|---|---|---|
| 1. Identification de la source et du type de discours | Situer l’énoncé dans son contexte | Qui parle ? Quel type de discours ? (journalistique, politique, religieux…) | Classification du texte, identification de l’énonciateur, contexte de production |
| 2. Position énonciative | Déterminer la posture et l’implication de l’énonciateur | L’énonciateur s’implique-t-il ? Est-il neutre, engagé, critique ? | Analyse des marques linguistiques : verbes, modalité, jugement |
| 3. Cadrage de l’événement (framing) | Repérer la façon dont le sujet est présenté | Quel angle est choisi ? Quels éléments sont mis en avant ou occultés ? | Étude du titre, chapô, lexique valorisant ou dépréciatif |
| 4. Identification des acteurs et de la polarisation | Cartographier les sujets et leur rôle | Qui est mis en avant ? Qui est secondaire ? Quels acteurs sont valorisés ou dévalorisés ? | Analyse des noms propres, pronoms, catégorisations, polarisation positive/négative |
| 5. Lexique et éléments idéologiquement marqués | Détecter le vocabulaire porteur de valeurs ou d’idéologie | Quels termes sont connotés ? Quelles notions sont valorisées ou critiquées ? | Étude du lexique, des métaphores, adjectifs et champs sémantiques |
| 6. Hiérarchie et polyphonie des voix | Identifier qui parle réellement et à quel niveau | Quelle voix domine ? Quelles voix secondaires ou périphériques ? | Analyse des citations, discours rapporté, intrusions énonciatives |
| 7. Mémoire discursive et interdiscours | Situer le discours dans une continuité historique ou interdiscursive | À quels événements, textes ou discours antérieurs le texte renvoie-t-il ? | Références intertextuelles, citations, allusions culturelles ou historiques |
| 8. Implicites et naturalisations | Repérer ce qui est suggéré sans être dit | Quelles présuppositions, valeurs ou idées sont données pour naturelles ? | Analyse des sous-entendus, des omissions et des présupposés |
| 9. Position construite pour le lecteur | Comprendre l’effet attendu sur le public | Quel lecteur est visé ? Quelles réactions sont suscitées ? | Étude de l’orientation argumentative, du ton, de l’appel à l’émotion ou à la réflexion |
Cette méthodologie offre un cadre rigoureux pour examiner tout type de discours, qu’il soit technologique, environnementaliste, politique, journalistique, religieux, médiatique (etc.). Elle permet de situer le texte dans son contexte et de comprendre qui parle, avec quel degré d’implication et selon quelle posture énonciative. Identifier l’énonciateur et le type de discours constitue la première étape pour éviter les interprétations hâtives et pour ancrer l’analyse dans la réalité du contexte de production.
Ensuite, elle permet de décomposer la structure du discours. Grâce à l’analyse du cadrage, de la hiérarchisation des acteurs et de la polyphonie des voix, on comprend comment le texte organise les informations et influence le lecteur. On peut repérer les choix stratégiques de mise en avant ou d’ocultation, ainsi que les relations de pouvoir implicites entre les acteurs évoqués. Cette étape est essentielle pour révéler la façon dont le discours façonne la perception de la réalité.
L’étude du lexique et des éléments idéologiquement marqués, combinée à l’examen des implicites et naturalisations, permet de détecter les valeurs, présupposés et représentations véhiculés par le texte. On comprend ainsi non seulement ce qui est dit, mais aussi ce qui est suggéré, normalisé ou implicite, offrant une lecture fine de l’idéologie et des intentions sous-jacentes.
Enfin, la méthodologie aide à évaluer l’effet sur le lecteur. En considérant la mémoire discursive, l’interdiscours et la position construite pour le public, on peut anticiper comment le texte oriente la perception, suscite des émotions, des jugements ou des réactions. Cette approche complète permet de passer d’une simple lecture factuelle à une compréhension approfondie des mécanismes de persuasion, d’influence et de construction du sens dans le discours.
En somme, ces neuf étapes fournissent un outil systématique pour décortiquer un texte, révéler ses stratégies implicites, et rendre intelligible la façon dont le langage modèle la pensée et influence les lecteurs. Elles sont applicables à tout contexte et à tout type de discours, offrant une méthodologie universelle et transversale pour l’analyse linguistique et critique.
TYPOLOGIE DES RÉGIMES DISCURSIFS
Un régime discursif n’est pas ce dont on parle, mais ce que le discours cherche à gouverner.
| Régime discursif | Objet principal gouverné | Logique de pouvoir dominante | Mécanisme central | Figures rhétoriques typiques | Exemples de corpus |
|---|---|---|---|---|---|
| bio-industriel | Corps, santé, alimentation | Biopolitique | Normalisation douce | Paternalisme, quantification, naturalisation | Nutrition, santé publique, agroalimentaire |
| techno-industriel | Techniques, systèmes, usages | Gouvernement par l’efficacité | Optimisation | Inéluctabilité, solutionnisme | IA, numérique, plateformes |
| écono-hégémonique | Marchés, échanges, compétitivité | Hégémonie économique | Performance comparative | Fatalisme, compétitivité, leadership | Commerce, mondialisation |
| politico-institutionnel | Lois, règles, gouvernance | Autorité légale | Encadrement normatif | Neutralité apparente, légalisme | Discours étatiques, traités |
| sécuritaire | Menaces, risques, frontières | Gouvernement par la peur | Anticipation du danger | Alarmisme, urgence | Terrorisme, immigration |
| moral-normatif | Comportements, valeurs | Discipline sociale | Jugement implicite | Responsabilisation, exemplarité | Éducation, mœurs |
| écolo-régulatoire | Futur, ressources, climat | Gouvernement du long terme | Contrainte anticipée | Catastrophisme tempéré, responsabilité | Climat, énergie |
| médiatico-spectaculaire | Attention, émotions | Captation cognitive | Polarisation | Simplification, indignation | Médias, réseaux sociaux |
| scientifico-légitimant | Vérité, preuve, savoir | Autorité épistémique | Clôture du débat | Appel au consensus, chiffres | Expertise, rapports |
| juridico-coercitif | Droits, sanctions | Contrainte formelle | Sanction | Menace légale, obligation | Justice, régulation |
| identitaire-culturel | Appartenance, symboles | Inclusion / exclusion | Frontières symboliques | Authenticité, tradition | Nation, culture |
| géopolitique-stratégique | Puissance, alliances | Rapport de force | Projection de puissance | Réalisme, rivalité | Relations internationales |
| managérial-performatif | Organisations, travail | Pilotage par indicateurs | Évaluation continue | Objectifs, KPI, excellence | Entreprise, gouvernance |
| humanitaro-compassionnel | Souffrance, vulnérabilité | Mobilisation morale | Émotion régulée | Empathie cadrée, urgence morale | ONG, crises humanitaires |
| utopique-prospectif | Futurs possibles | Mobilisation imaginaire | Projection | Promesse, rupture | Innovation, transition |
BIO-INDUSTRIEL ⏶
Plus le discours parle de choix individuels, plus il masque un système industriel de normalisation.
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Corps biologiques, comportements alimentaires, santé | Corps mesuré, surveillé, corrigé | Gouvernement des corps |
| Postulat central | Le corps est optimisable par la norme scientifique | « Besoins », « apports », « équilibre » | Naturalisation de la norme |
| Définition de la santé | Conformité statistique et préventive | Seuils, moyennes, recommandations | Réduction de la santé au calcul |
| Sujet discursif | Individu responsable et auto-discipliné | « Faites les bons choix » | Individualisation de la responsabilité |
| Acteurs légitimes | Experts, agences, nutritionnistes, industrie | Autorité scientifique invoquée | Alliance science–industrie |
| Régime de scientificité | Épidémiologie populationnelle dominante | Corrélations, consensus, chiffres | Clôture du débat |
| Lexique dominant | Santé, équilibre, modération, excès | Vocabulaire moralisé | Dépolitisation |
| Quantification du vivant | Corps traité comme système mesurable | Calories, portions, scores | Corps-machine |
| Dispositifs normatifs | Incitations douces et continues | Labels, Nutri-Score, pyramides | Auto-surveillance |
| Construction du risque | Risque sanitaire individualisé | Obésité, diabète, maladies | Culpabilisation |
| Rapport au plaisir | Plaisir toléré mais encadré | « Plaisir coupable », modération | Soupçon moral |
| Oubli structurel | Contraintes sociales et économiques | Précarité, marketing absents | Invisibilisation des rapports de force |
| Figures rhétoriques | Paternalisme bienveillant | « Pour votre bien », « apprenez à » | Asymétrie discursive |
| Temporalité | Présent continu + futur sanitaire | Prévention permanente | Discipline quotidienne |
| Effets sociaux | Normalisation et stigmatisation | Grossophobie, culpabilité | Hiérarchisation des corps |
| Finalité implicite | Réguler comportements + marchés | Marchandisation du « sain » | Discipline sous couvert de santé |
| Degré d’hégémonie | Élevé | Présenté comme évidence neutre | Dépolitisation totale |
ÉCONO-HÉGÉMONIQUE ⏶
Règle interprétative
Plus un discours présente l’économie comme une contrainte naturelle et mondiale, plus il cherche à neutraliser le politique et à rendre ses choix incontestables.
Indices de détection rapide
- Décisions justifiées par « les marchés »
- Alternatives disqualifiées comme irréalistes
- Chiffres utilisés comme arguments d’autorité
- Sacrifices présentés comme rationnels
- Politique réduit à l’ajustement
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Échanges, marchés, compétitivité | Commerce, investissements, flux | Gouvernement par l’économie |
| Postulat central | L’économie obéit à des lois naturelles | « Réalité des marchés », « contraintes » | Naturalisation des choix |
| Définition de la réussite | Performance comparative | Croissance, parts de marché, rangs | Hiérarchisation globale |
| Sujet discursif | Nation, entreprise ou individu adaptable | « Il faut s’adapter » | Responsabilisation asymétrique |
| Acteurs légitimes | Marchés, investisseurs, experts | Indicateurs, agences, classements | Autorité dépolitisée |
| Régime de scientificité | Économie orthodoxe, modélisation | Chiffres, prévisions, scénarios | Clôture technocratique |
| Lexique dominant | Compétitivité, attractivité, efficacité | Vocabulaire de nécessité | Neutralisation du débat |
| Quantification du réel | Réalité sociale traduite en indicateurs | PIB, déficits, notations | Réduction du social au chiffre |
| Dispositifs normatifs | Règles implicites du marché | Réformes, ajustements, discipline | Contrainte sans coercition |
| Construction du risque | Déclin, décrochage, perte d’attractivité | « Retard », « fuite des capitaux » | Peur économique |
| Rapport au politique | Politique subordonnée à l’économie | « Il n’y a pas d’alternative » | Dépossession démocratique |
| Oubli structurel | Rapports sociaux et gagnants/perdants | Travail, inégalités absents | Invisibilisation des conflits |
| Figures rhétoriques | Fatalisme, urgence économique | « Nécessaire », « inévitable » | Imposition douce |
| Temporalité | Présent perpétuel de la concurrence | Court terme, urgence | Accélération permanente |
| Effets sociaux | Acceptation des sacrifices | Austérité, flexibilisation | Consentement contraint |
| Finalité implicite | Stabiliser l’ordre économique dominant | Reproduction des hiérarchies | Hégémonie durable |
| Degré d’hégémonie | Très élevé | Présenté comme pragmatisme | Dépolitisation maximale |
TECHNO-INDUSTRIEL ⏶
Règle interprétative
Plus le discours affirme résoudre un problème, plus il déplace le débat hors du politique.
Indices de détection rapide
- Inéluctabilité du progrès
- Solution technique présentée comme neutre
- Responsabilisation de l’utilisateur
- Invisibilisation des coûts sociaux
- Débat réduit à l’efficacité
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Systèmes techniques, usages, organisations | Plateformes, IA, infrastructures | Gouvernement par la technique |
| Postulat central | Le progrès technique est inévitable et rationnel | « Inéluctable », « révolution », « disruption » | Naturalisation du progrès |
| Définition de la performance | Efficacité, vitesse, optimisation | Gains, productivité, scalabilité | Hiérarchisation par l’efficacité |
| Sujet discursif | Utilisateur adaptable et apprenant | « S’adapter », « se former » | Responsabilisation asymétrique |
| Acteurs légitimes | Ingénieurs, entreprises tech, experts | Autorité technique invoquée | Dépolitisation par expertise |
| Régime de scientificité | Ingénierie appliquée, données, benchmarks | KPI, métriques, tests | Autorité des chiffres |
| Lexique dominant | Innovation, solution, automatisation | Vocabulaire solutionniste | Réduction du débat |
| Quantification du réel | Réalité traduite en données | Algorithmes, scoring, tracking | Gouvernement par les métriques |
| Dispositifs normatifs | Standards techniques et plateformes | Interfaces, API, règles implicites | Normalisation invisible |
| Construction du risque | Retard, obsolescence, inefficacité | « Décrochage », « compétitivité » | Peur du déclassement |
| Rapport à l’humain | Humain perfectible ou remplaçable | « Augmenté », « assisté » | Subordination de l’humain |
| Oubli structurel | Rapports de pouvoir et coûts sociaux | Travail, dépendance, énergie | Invisibilisation systémique |
| Figures rhétoriques | Solutionnisme, fatalisme doux | « Il n’y a pas d’alternative » | Clôture du débat |
| Temporalité | Accélération continue | « Temps réel », « mise à l’échelle » | Pression permanente |
| Effets sociaux | Dépendance technologique, standardisation | Plateformisation | Capture des usages |
| Finalité implicite | Optimiser, capter, contrôler | Monétisation, domination technique | Pouvoir infrastructurel |
| Degré d’hégémonie | Très élevé | Progrès présenté comme neutre | Dépolitisation avancée |
POLITICO-INSTITUTIONNEL ⏶
Règle interprétative
Plus un discours insiste sur la procédure et la neutralité, plus il tend à déplacer le conflit politique hors du débat public.
Indices de détection rapide
- Centralité des règles et cadres
- Légitimité fondée sur la conformité
- Langage administratif dominant
- Conflits traduits en problèmes techniques
- Politique réduit à la gestion
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Règles collectives, gouvernance, institutions | Lois, règlements, cadres | Gouvernement par la règle |
| Postulat central | La norme institutionnelle garantit l’ordre et l’intérêt général | « Cadre commun », « État de droit » | Légitimation par la procédure |
| Définition de la légitimité | Conformité aux règles établies | Procédures, votes, traités | Autorité procédurale |
| Sujet discursif | Citoyen administré et conforme | « Respect des règles », « devoir civique » | Dépolitisation citoyenne |
| Acteurs légitimes | Institutions, autorités, administrations | Gouvernements, agences | Centralisation de la parole |
| Régime de scientificité | Expertise juridique et administrative | Textes, avis, conformité | Neutralisation du conflit |
| Lexique dominant | Cadre, conformité, stabilité | Vocabulaire juridique | Technicisation du politique |
| Temporalité | Temps long institutionnel | Continuité, réformes graduelles | Inertie maîtrisée |
| Dispositifs normatifs | Lois, règlements, procédures | Décrets, circulaires | Encadrement formel |
| Construction du risque | Désordre, illégalité, instabilité | « Vide juridique », « chaos » | Peur institutionnelle |
| Rapport au conflit | Conflit canalisé ou disqualifié | Concertation, consultation | Déplacement du politique |
| Oubli structurel | Rapports de force et intérêts | Lobbys, asymétries absents | Invisibilisation du pouvoir réel |
| Figures rhétoriques | Neutralité, responsabilité | « Apolitique », « technique » | Dépolitisation |
| Rapport à la souveraineté | Souveraineté procédurale | Transfert, délégation | Dilution du pouvoir |
| Effets sociaux | Acceptation de la norme | Conformisme civique | Pacification sociale |
| Finalité implicite | Stabiliser l’ordre existant | Gestion plus que transformation | Conservation institutionnelle |
| Degré d’hégémonie | Élevé | Normes présentées comme neutres | Dépolitisation structurelle |
SÉCURITAIRE ⏶
Règle interprétative
Plus un discours invoque l’urgence sécuritaire, plus il tend à suspendre le débat démocratique au nom de la protection.
Indices de détection rapide
- Présence d’une menace diffuse ou imminente
- Justification par l’urgence
- Acceptation de restrictions exceptionnelles
- Appel au consensus protecteur
- Effacement des causes structurelles
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Menaces, risques, ordre public | Criminalité, terrorisme, frontières | Gouvernement par la peur |
| Postulat central | Le danger est permanent et exige vigilance | « Menace diffuse », « contexte tendu » | Normalisation de l’exception |
| Définition de la sécurité | Réduction du risque à court terme | Prévention, neutralisation | Priorité à l’urgence |
| Sujet discursif | Population vulnérable à protéger | « Nos concitoyens », « innocents » | Infantilisation collective |
| Acteurs légitimes | Forces de sécurité, État, experts | Police, armée, renseignement | Monopole de la protection |
| Régime de scientificité | Expertise sécuritaire et renseignement | Scénarios, menaces probables | Autorité opaque |
| Lexique dominant | Menace, vigilance, fermeté | Champ lexical anxiogène | Activation émotionnelle |
| Temporalité | Urgence permanente | « Immédiat », « sans délai » | Suspension du temps long |
| Dispositifs normatifs | Lois d’exception, surveillance accrue | États d’urgence, contrôles | Extension du pouvoir coercitif |
| Construction de l’ennemi | Ennemi diffus ou désigné | Intérieur / extérieur | Polarisation sociale |
| Rapport aux libertés | Libertés conditionnelles | « Équilibre sécurité/liberté » | Hiérarchisation des droits |
| Oubli structurel | Causes sociales et politiques | Précarité, géopolitique absentes | Décontextualisation |
| Figures rhétoriques | Alarmisme, dramatisation | « Nous ne pouvons pas attendre » | Clôture du débat |
| Rapport au politique | Politique réduit à la protection | Consensus imposé | Débat disqualifié |
| Effets sociaux | Acceptation du contrôle | Surveillance banalisée | Consentement contraint |
| Finalité implicite | Stabiliser l’ordre par l’autorité | Renforcement étatique | Pouvoir d’exception durable |
| Degré d’hégémonie | Variable mais souvent élevé | Peur présentée comme rationnelle | Dépolitisation par l’urgence |
MORAL-NORMATIF ⏶
Règle interprétative
Plus un discours transforme un enjeu social ou politique en question de morale individuelle, plus il neutralise les rapports de force et les causes structurelles.
Indices de détection rapide
- Jugements implicites de valeur
- Appels à la responsabilité individuelle
- Désaccords disqualifiés moralement
- Effacement des contraintes matérielles
- Normes présentées comme du « bon sens »
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Comportements, conduites, valeurs | Manières d’agir, de vivre, de penser | Gouvernement des conduites |
| Postulat central | Il existe des comportements « justes » et « responsables » | « Bon/mauvais », « responsable/irresponsable » | Naturalisation de la norme morale |
| Définition du bien | Conformité à une norme implicite | Civisme, vertu, exemplarité | Hiérarchisation morale |
| Sujet discursif | Individu perfectible et jugeable | « Chacun doit faire sa part » | Responsabilisation morale |
| Acteurs légitimes | Autorités morales, éducatives, médiatiques | Experts, enseignants, figures publiques | Autorité symbolique |
| Régime de légitimation | Éthique consensuelle | Bon sens, valeurs partagées | Clôture du désaccord |
| Lexique dominant | Responsabilité, respect, valeurs | Champ lexical évaluatif | Moralisation du débat |
| Rapport à la norme | Norme intériorisée | Autodiscipline, culpabilité | Contrôle sans coercition |
| Dispositifs normatifs | Rappels à l’ordre symboliques | Campagnes, chartes, injonctions | Régulation douce |
| Construction de la faute | Écart à la norme | Incivilité, irresponsabilité | Stigmatisation |
| Rapport au conflit | Désaccord disqualifié moralement | « Inacceptable », « indigne » | Dépolitisation |
| Oubli structurel | Contraintes sociales et matérielles | Classes, conditions absentes | Individualisation |
| Figures rhétoriques | Paternalisme, exemplarité | « Pour le bien commun » | Asymétrie morale |
| Temporalité | Présent normatif continu | Habitudes, constance | Discipline quotidienne |
| Effets sociaux | Culpabilité, auto-contrôle | Conformisme, jugement social | Normalisation diffuse |
| Finalité implicite | Maintenir l’ordre social | Pacification morale | Stabilisation normative |
| Degré d’hégémonie | Élevé | Normes présentées comme évidentes | Dépolitisation par la morale |
ÉCOLO-RÉGULATOIRE ⏶
Règle interprétative
Plus un discours met l’accent sur les limites planétaires et l’urgence climatique, plus il discipline les comportements individuels et collectifs au nom du futur.
Indices de détection rapide
- Présence de la notion de seuil critique ou limite planétaire
- Temporalité prospective (long terme, générations futures)
- Usage d’arguments scientifiques et normatifs
- Appels à la responsabilité individuelle ou collective
- Mobilisation par prudence ou prévention plutôt que par coercition
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Futur environnemental, ressources, écosystèmes | Climat, biodiversité, énergie, déchets | Gouvernement par la contrainte future |
| Postulat central | La planète a des limites, il faut réguler pour survivre | « Capacité de charge », « seuil critique » | Détermination des comportements à long terme |
| Définition de la responsabilité | Préserver l’équilibre écologique pour les générations futures | Réduction des émissions, sobriété, conservation | Responsabilisation prospective |
| Sujet discursif | Citoyen ou acteur économique responsable | « Chacun doit agir », « choix durables » | Discipline volontaire mais encadrée |
| Acteurs légitimes | Institutions internationales, scientifiques, ONG | IPCC, agences environnementales | Autorité technique et normative |
| Régime de scientificité | Écologie, modélisation, prospective | Rapports scientifiques, scénarios, seuils | Clôture du débat sur base de preuves |
| Lexique dominant | Durabilité, sobriété, transition, urgence | Vocabulaire normatif et moral | Moralisation douce et mobilisation |
| Quantification du réel | Ressources et émissions mesurées | Tonnes CO₂, empreinte écologique, seuils | Gouvernement par métriques |
| Dispositifs normatifs | Normes, réglementations et incitations | Pactes, labels, taxes, quotas | Encadrement des comportements |
| Construction du risque | Catastrophe écologique future | Changement climatique, effondrement | Mobilisation par peur raisonnée |
| Rapport au plaisir et à la consommation | Limitation des excès | « Consommer responsable », sobriété énergétique | Discipline anticipative |
| Oubli structurel | Pouvoirs industriels et inégalités | Responsabilités collectives minimisées | Déplacement des causes réelles |
| Figures rhétoriques | Alarmisme tempéré, pédagogie | « Si rien n’est fait », « seuil critique » | Mobilisation encadrée |
| Temporalité | Long terme, prospective | Générations futures, horizons 2050+ | Discipline prospective |
| Effets sociaux | Engagement ou culpabilité | Modération, changement de comportement | Normalisation écologique |
| Finalité implicite | Prévenir la catastrophe et préserver le système | Pérennité des ressources et des institutions | Contrôle durable des comportements |
| Degré d’hégémonie | Modéré à élevé | Urgence présentée comme évidente | Dépolitisation par l’évidence scientifique |
MÉDIATICO-SPECTACULAIRE ⏶
Règle interprétative
Plus un discours cherche à provoquer ou captiver, plus il déplace le débat rationnel vers l’émotion et la viralité.
Indices de détection rapide
- Titres accrocheurs et sensationnels
- Priorité à l’émotion sur la complexité
- Amplification d’événements marginaux
- Mesure par audience et engagement
- Dépolitisation par spectacle
| Axe d’analyse | Description structurante | Indicateurs discursifs observables | Fonction de pouvoir exercée |
|---|---|---|---|
| Objet gouverné | Attention, perception publique, émotion | Audience, clics, partages, trending | Gouvernement par l’émotion et la visibilité |
| Postulat central | L’information et l’opinion se structurent autour du spectaculaire | « Breaking », « viral », « scandale » | Mobilisation rapide de l’attention |
| Définition de la pertinence | Ce qui capte l’attention est prioritaire | Titre accrocheur, image forte, buzz | Hiérarchisation par visibilité |
| Sujet discursif | Spectateur / consommateur captivé | Récepteur passif ou interactif | Manipulation douce des perceptions |
| Acteurs légitimes | Médias, influenceurs, plateformes | Journalistes, animateurs, algorithmes | Autorité médiatique et algorithmique |
| Régime de scientificité | Information filtrée par l’effet de sensation | Chiffres choisis, sondages, anecdotes | Apparence de preuve / légitimité émotionnelle |
| Lexique dominant | Urgence, scandale, choc, émotion | Champ lexical sensationnel | Dramatisation et simplification |
| Quantification du réel | Mesure de l’audience et de l’engagement | Vues, partages, trending | Contrôle par métriques attentionnelles |
| Dispositifs normatifs | Codes éditoriaux, algorithmes, lois de l’audience | Titres, images, timing | Orientation de l’opinion publique |
| Construction du risque | Peur, indignation ou choc | Polémique, scandale, alerte | Mobilisation émotionnelle |
| Rapport au plaisir | Divertissement et émotion | Suspense, humour, sensation | Captation et fidélisation |
| Oubli structurel | Complexité et contexte | Causes profondes absentes | Dépolitisation et simplification |
| Figures rhétoriques | Hyperbole, dramatisation, storytelling | « Exclusif », « choc », « incroyable » | Amplification des effets |
| Temporalité | Instantanéité, flux continu | Temps réel, breaking news | Accélération perceptuelle |
| Effets sociaux | Opinion rapide, viralité, polarisation | Émotions collectives, buzz | Influence diffuse et rapide |
| Finalité implicite | Capturer et retenir l’attention | Monétisation, pouvoir médiatique | Domination symbolique |
| Degré d’hégémonie | Variable selon audience | Présenté comme information incontournable | Dépolitisation et influence émotionnelle |
© Laboratoire des discours contemporains, 2026
