CANADA 2026 : LE PAYS QUI TIENT, MAIS QUI N’AVANCE PLUS

En 2026, le Canada devra dépasser la simple résilience, clarifier sa stratégie face aux États-Unis et aligner ses capacités internes pour réussir sa diversification internationale.
Une économie officiellement stable, mais humainement essoufflante
Sur le papier, tout va bien. La croissance est modeste mais réelle. L’inflation serait maîtrisée. L’emploi progresse. Pourtant, si vous vivez en ville, vous savez que la réalité est moins lisse. Les salaires traînent. Les prix de l’épicerie s’installent durablement dans les budgets. Le travail se fragmente. On travaille plus longtemps, plus tard, avec plus de prudence que d’espoir.
Ce n’est pas une économie en crise. C’est une économie sous pression. Elle tient grâce à l’endettement des ménages, à une flexibilité imposée, à une patience collective rarement reconnue pour ce qu’elle est. La productivité plafonne, l’investissement structurel tarde, et l’on mise sur des ajustements démographiques, notamment en resserrant certaines formes d’immigration, pour relâcher la pression ; ce n’est pas une transformation, c’est un pansement.
Gouverner en arbitrant, sans jamais choisir vraiment
Politiquement, le pays donne l’impression d’un gouvernement en mode défensif. Chaque décision est pesée à l’aune d’un sondage, d’une contestation ciblée, d’un compromis budgétaire impossible à satisfaire pleinement. Logement ou climat ? Santé ou finances publiques ? Immigration ou cohésion sociale ?
La popularité devient un indicateur presque aussi scruté que le PIB. Gouverner, c’est souvent expliquer pourquoi on ne peut pas faire plus, plutôt que dire clairement où l’on veut aller. Cette politique n’est pas cynique. Elle est prudente. Mais à force de prudence, elle finit par immobiliser le pays.
L’environnement : une priorité affichée, une contrainte vécue
Sur le climat, le Canada avance par cadres réglementaires. Réduction du méthane, stratégies de compétitivité verte, incitations diverses. Le discours est cohérent. Les intentions sont là. Mais l’adhésion sociale reste fragile, car pour beaucoup, la transition écologique rime surtout avec coûts immédiats et bénéfices lointains. Tant que le logement est inaccessible et que les services publics peinent, l’environnement apparaît comme une exigence morale ajoutée à une liste déjà trop longue. La tension écologique n’est pas idéologique. Elle est logistique, très concrète, presque quotidienne.
Le logement : de l’angle mort au centre de gravité
S’il fallait désigner un point de rupture potentiel, ce serait celui-là. Le logement n’est plus une crise parmi d’autres. Il est devenu le nœud central de toutes les tensions. Travail, santé mentale, mobilité sociale, natalité : tout y converge. Et pour cause, les annonces se multiplient. Les plans aussi. Mais la construction reste insuffisante, l’abordabilité hors d’atteinte, et la précarité résidentielle se normalise. Le logement n’est plus une promesse collective. C’est un privilège que l’on négocie, souvent à perte, au cas par cas.
Le secteur santé : dernier amortisseur avant la fatigue
Le système de santé continue de jouer son rôle d’amortisseur social. Il encaisse. Il absorbe. Il retarde l’impact des fractures. Mais il le fait sans réforme de fond. Les pénuries de personnel, les délais, la pression démographique et climatique s’accumulent. On modernise ici et là. On innove localement. Mais on évite la refonte structurelle. La santé tient encore, mais au prix d’une fatigue institutionnelle que l’on confond trop souvent avec de la résilience.
Le vrai risque : s’habituer

Le danger pour le Canada n’est pas l’effondrement. C’est l’habituation. S’habituer à un logement inaccessible. À une économie qui ne permet plus de se projeter. À une politique qui gère mieux qu’elle ne transforme. À une transition écologique vécue comme contrainte plutôt que comme projet collectif. 2025 a montré un pays capable d’encaisser énormément. Reste à savoir s’il saura enfin décider. Car tenir n’est pas avancer. Et la stabilité, sans direction, finit toujours par devenir une forme élégante d’immobilisme.
2026 : l’année où le Canada ne pourra plus rester au milieu du gué
Si 2025 a été l’année de l’endurance, 2026 risque d’être celle du positionnement. Car le monde autour du Canada se durcit, et son principal partenaire, les États-Unis, devient moins prévisible, plus transactionnel, parfois franchement impatient.
Vous le verrez rapidement : les frictions commerciales, les divergences climatiques, les politiques industrielles agressives de Washington ne laisseront plus beaucoup d’espace à l’ambiguïté canadienne. Être un allié fiable ne suffira plus si cela signifie rester un fournisseur discret dans une économie américaine de plus en plus tournée vers elle-même. La relation ne se rompra pas, mais elle changera de ton. Plus brutale. Plus conditionnelle. Moins indulgente.
C’est dans ce contexte que les nouveaux accords avec l’Europe et l’Asie prendront une importance stratégique réelle, et non plus simplement diplomatique. Pas comme alternative aux États-Unis, mais comme levier. Diversifier les chaînes d’approvisionnement, sécuriser des débouchés pour l’énergie, les minéraux critiques, l’agroalimentaire, la technologie : 2026 sera l’année où ces partenariats devront produire des effets tangibles, visibles dans l’emploi, l’investissement et la capacité industrielle du pays.
Mais ces ouvertures auront un prix. L’Europe demandera des standards élevés, une cohérence climatique et sociale accrue. L’Asie exigera de la rapidité, de la fiabilité logistique, une capacité d’exécution que le Canada n’a pas toujours démontrée. Vous ne pourrez pas, collectivement, vouloir la diversification sans accepter la discipline qu’elle impose.
Le véritable enjeu de 2026 ne sera donc pas géopolitique au sens abstrait. Il sera intérieur. Le Canada pourra-t-il aligner son logement, sa main-d’œuvre, son énergie, ses infrastructures et sa gouvernance sur ses ambitions internationales ? Ou continuera-t-il à signer des accords qu’il peine ensuite à incarner sur le terrain ?
L’année à venir dira si le pays accepte enfin de passer d’une stabilité défensive à une stratégie assumée, car dans un monde de blocs, de tensions commerciales et de transitions accélérées, rester « raisonnable » ne suffit plus. Il faudra choisir, investir, trancher.
En 2026, le Canada ne sera pas forcé de devenir un pays radical. Mais il devra cesser d’être un pays hésitant. Et cette fois, ce ne sera pas une question de résilience. Ce sera une question de direction.
TENSIONS GÉOPOLITIQUES
© Laboratoire des discours contemporains, 2025
